Le voyage en citations

Voyagez par la pensée...

A

Il faut que la pensée voyage et contemple, si l’on veut que le corps soit bien.

Alain

Son enseignement a fait le bonheur d’une génération de philosophes, et ses « propos » issus de chroniques faites dans les journaux – plusieurs milliers ! – continuent de nous donner matière à penser. Inspiré par les classiques, Alain est avant tout un passeur se méfiant des systèmes de pensée. Prenez son éloge du voyage précisément comme une précaution contre l’assèchement intellectuel, comme une invitation à lever la tête des livres pour penser en grand, à sortir des bibliothèques pour ne pas perdre de vue le seul objet qui vaille qu’on s’y arrête, et qui est l’objet de toute sa philosophie : comment vivre bien ? Les Antiques, auxquels Alain rend hommage, ne disaient pas mieux : mens sana in corpore sano. « L’esprit sain dans un corps sain. » Suivez l’exemple.

Alain (1868-1951), « Regarde au loin, 15 mai 1911 », dans Propos sur le bonheur

Conduire dans Paris, c’est une question de vocabulaire.

Michel Audiard

On ne peut pas dire que tous les échanges entre conducteurs soient aussi fleuris que ceux de Michel Audiard, mais tout de même : en voiture mieux vaut avoir du répondant, et dans le trafic parisien plus encore. Si noms d’oiseaux et invectives diverses nous viennent si facilement, c’est que la voiture est un habitacle, voire une projection, selon le philosophe Jean Baudrillard : « La voiture se prête aussi bien à un investissement de puissance qu’à un investissement refuge. » Alors certes il arrive que conduire avec des caves un peu rustiques et pas toujours diplomates nous mette furax, mais soyons dignes d’Audiard : sur la route, oublions les insultes, souvenons-nous de l’humour.

Michel Audiard (1920-1985), Mannequins de Paris

Emmenez-moi au bout de la terre Emmenez-moi au pays des merveilles Il me semble que la misère Serait moins pénible au soleil.

Charles Aznavour

Des docks où il est cloué, courbé sous les charges à transborder, il voit les autres partir, et les navires accoster, pleins des merveilles du bout du monde… Il fallait la pulsation d’une valse brisée pour exprimer ce désir vital : emmenez-moi ! Ce pourrait être la chanson des migrants et des pauvres, et il y a fort à parier que l’Arménien Charles Aznavour pensait à eux. Le monde d’aujourd’hui se partage, disait le sociologue anglais Zygmunt Bauman, entre les « mondiaux » et les « locaux ». Les premiers sont chez eux partout, les seconds ne sont chez eux… que chez eux, « cloués à la localité » et dont on ne veut nulle part. Ce rêve, c’est aussi le leur, aventureux, empêché, souvent sans point d’arrivée, vers une vie meilleure. Si cette chanson a fait le tour du monde, elle dit l’appel vers le large pour celui qu’on oublie au port.

Charles Aznavour (né en 1924), Emmenez-moi

Le bonheur est une récompense qui vient à ceux qui ne l’ont pas cherchée.

Alain

Peut-on construire son bonheur ? Certains le croient, et déploient les méthodes les plus diverses : accumulation des plaisirs, plan de vie parfaitement huilé, principes inflexibles. Mais bon, il faut bien avouer que ça ne marche pas toujours. On avait tout soigneusement préparé : la destination idéale, la belle vue, les bonnes tables, et patatras ! On se retrouve au bord d’un chantier, c’est moche, tout le monde fait la tête. La fête est gâchée. Les riches peuvent être malheureux. Les salauds satisfaits. On se rend souvent compte qu’on a été heureux, mais après, quand on ne l’est plus. Il faut dire que le mot « bonheur » vient du latin bonum augurium, qui signifie « bon présage », « bonne fortune ». Bref, être heureux, ça ressemble au coup de bol. Alors le philosophe français Alain nous propose la méthode de la voie détournée. Au lieu de poursuivre directement la félicité, n’y pensez même plus. Mais faites ce que vous pensez être juste : suivez vos convictions, profitez de la beauté du monde, de la présence d’autrui. Soyez généreux, joyeux, actif. Et alors, suggère Alain, le bonheur viendra en plus, comme une cerise sur le gâteau. On essaie ?

Alain (1858-1951), Propos sur le bonheur